Demande d'euthanasie : une expérience de simulation inédite

ISSIG     ven. 17 janvier 2020

La revue thématique KAIROS consacre un article sur notre expérience de simulation centrée sur la demande d'euthanasie. Un point de vue pertinent de la patiente actrice.

Rerouvez l'article ci-dessous :

Dans un contexte de pratiques d’euthanasie rendues de plus en plus souvent publiques et de débat sur un éventuel élargissement de la loi, les étudiants en soins infrmiers expriment régulièrement leurs difcultés à parler de l’euthanasie avec un patient ou des collègues; ils ne comprennent pas toujours les réalités du terrain. Il n’existe pas de recommandations professionnelles relatives aux rôles de l’infrmier (Lecocq D. 2015)1 . Durant leur formation, les étudiants sont informés du contexte légal et du processus ; ils ont l’occasion d’évoquer les défs éthiques avec les enseignants mais ne sont pas préparés de manière concrète à accompagner un patient dans cette ultime expérience de vie.

Pour aider les étudiants à réféchir aux attitudes professionnelles, la Haute Ecole Galilée a proposé aux étudiants bacheliers Infrmier Responsable de Soins Généraux de quatrième année des séances de simulation basées sur un scénario fctif d’un patient adressant une demande d’euthanasie à un infrmier.

La simulation est une approche pédagogique expérientielle. L’environnement pour cet exercice est immersif, au plus proche de la réalité hospitalière ou extra hospitalière. L’objectif est de vivre une situation dans un contexte d’apprentissage, de confance et de bienveillance (Aunier G.. 2019)2 .

Le scénario joué par un patient acteur et un étudiant est observé par un petit groupe d’étudiants et analysé suivant une méthodologie très précise avec deux enseignants.

J’ai eu l’occasion d’endosser plusieurs fois le rôle d’une patiente fatiguée de vivre, à court d’haleine, sous oxygénothérapie, inquiète de mourir étouffée et formulant une demande « d’en fnir ». Sans vouloir m’immiscer dans le développement pédagogique de cette méthode, je souhaite néanmoins partager l’expérience de patient acteur.

Se mettre dans la peau d’une telle patiente fait émerger des émotions qu’il est nécessaire d’anticiper avant le scénario: la description très précise de la situation reçue quelques jours auparavant permet de prendre distance et d’adhérer au personnage, un peu comme au théâtre.

Le stress de l’inconnu et de l’imprévu s’efface assez vite pour faire place au jeu et à la rencontre avec le soignant. L’environnement très proche de la réalité (chambre et lit d’hôpital, fauteuil, table de chevet garnie, peignoir et pantoufes,…) facilite la simulation.

Cette expérience m’a aidée à mieux cerner le rôle infrmier et les besoins d’un patient en demande d’euthanasie mais aussi d’extrapoler ces attentes à toute relation soignant/soigné.

 

Être attentif à l’expression du malade

Lorsque l’étudiante qui, dans le scénario, venait effectuer un soin, s’arrête, prend une chaise et m’écoute, je me sens reconnue. Une radio qui reste allumée pendant un autre dialogue ne perturbe pas l’infrmière alors que moi j’éprouvais des diffcultés à l’entendre dans le bruit de fond.

 

Proposer d’en faire part au médecin et à l’équipe pluridisciplinaire

En avezvous déjà parlé au médecin? Qu’est-ce qu’il en dit ? Au vu de mon insatisfaction, l’infrmière propose d’en parler ellemême avec lui… quel soulagement: elle plaidera en faveur du respect de ma volonté. Je me sens soutenue.

 

Vérifer l’interprétation du message

Une étudiante me demande depuis combien de temps j’ai cette idée; une autre vérife si je parle bien d’euthanasie… cela me réconforte, je suis entendue, on va se comprendre.

 

Reconnaitre la souffrance

Quand l’infrmière me dit que cela devient diffcile pour moi, je me sens comprise et reconnue dans ma souffrance ; par contre, celle qui veut me convaincre que je ne suis pas encore très âgée et qu’il y a encore de bonnes choses dans ma vie comme mon époux et mes enfants, ne me donne pas l’impression d’être écoutée et respectée.

 

S’intéresser aux motivations

Me démontrer ce qu’il y a encore de beau dans ma vie et me confronter au vide que je laisserai derrière moi, m’a culpabilisée et m’a très fortement insécurisée: cette infrmière est trop jeune, elle ne comprend pas que j’ai peur de mourir étouffée… Par contre, celle qui me questionne sur ma peur m’a aidée à rechercher en moi les vraies raisons de ma demande…

 

Connaitre la législation

Je n’obtiens pas de réponse quand je demande à l’infrmière si elle ne peut pas me donner elle-même une injection et cela m’inquiète sur ses compétences; lorsqu’une autre m’explique que pour obtenir l’euthanasie, il y a beaucoup de démarches à faire et que le chemin est long et complexe, je me décourage. Me donner la possibilité de contacter une association pour m’aider dans le cheminement m’a rassurée… un expert pourra m’accompagner.

 

 

Cette séquence de quelques minutes a donné aux étudiants la possibilité de vivre et d’observer le dialogue entre la patiente et l’infrmière. Durant le long moment du débriefng qui suit le scénario, les faits et gestes sont décrits et les erreurs ou les attitudes facilitantes mises en évidence, tout en vérifant leur impact auprès de la patiente. Les étudiants repartent avec des concepts théoriques ancrés cette fois dans une réalité simulée mais professionnelle: rester neutre, entendre une demande d’euthanasie, analyser la complexité et assurer la continuité des soins.

En donnant aux patients acteurs l’occasion de simuler une situation de santé, ceux-ci participent activement à la formation des futurs professionnels et enrichissent leur propre réfexion.

I.H.


Références

1 Lecocq D. et al., Le rôle infrmier dans le cadre d’une euthanasie active volontaire dans les pays où elle est légalement autorisée, revue de la littérature. Revue francophone, juin 2015.

2 Aunier G., La simulation en santé, le debriefng en mains, Hors Collection, février 2019.